Première rencontre avec Lily Dale
Elle était assise au bord d'une larme amère, distante et élégante, la première fois que je l'aperçus. Elle tenait son porte-cigarette avec une précise science du mouvement. Un boa, flottant sur ses épaules, adoucissait son apparence.
Enfoncé dans un coin sombre et bleu du vieux cabaret, je l'observais. J'avais 4 siècles déjà, et 300 années de combat m'avaient courbé de lassitude. C'est d'abord la larme brillante que je regardais. Elle coulait lentement comme la tristesse d'un amour déchu. Elle était un ruisseau hésitant et pâle. Un léger halo la précédait, formé d'étoiles fondantes en flocons... Flocons minuscules mais étincelants qui éclairaient sa peau d'opale. Tout de suite, et malgré mes aventures innombrables, la spectrale demoiselle m'intimida. C'est à dire que son charme s'infiltra directement sous la croûte dure de mon cuir tanné par le sel des désillusions et le feu des combats.
J'ai reconnu sa fragilité et j'ai admiré sa force à la minute même où je l'ai vue. J'ai su qu'elle était habitée, tout comme mon vieux corps, par de multiples vies. Je sus qu'elle abritait des dizaines d'âmes. Je sus qu'il n'y avait rien à dire : se reconnaitre et sourire.
Sourire pour faire fondre les larmes...
J'allumai une cigarette pour d'un geste ample, l'envelopper d'une fumée grise, bleue, et rassurante. Il n'y avait rien à dire, juste se laisser porter par les souvenirs, par les nostalgies séculaires... Nous entamions, la flamme de ses yeux dans la flamme de mes yeux, un voyage immobile...
Ainsi se passa ma première rencontre avec Lily Dale.
Ecrit en écoutant en boucle le poème Lily Dale, chanté et mis en musique par Arthur H.