Titres aveugles

Publié le par PB

De plus en plus, pour choisir mes livres, je me fie au hasard. Je me balade dans les rayons des librairies ou entre les étals des bouquinistes. Je laisse les titres capter mon regard. Les noms d’auteurs aussi, il y en a de prometteurs, des « qui vous disent quelque chose », des « qui sonnent exotiques ou étranges ».

Mais le plus souvent, c’est le titre qui m’interpelle en premier. Il y a des auteurs qui ne choisissent pas assez leur titre. Ils ne savent pas résumer leur œuvre, la condenser, la représenter en quelques mots. Il faut intriguer, attirer l’œil.

Si le titre me séduit, je prends le livre. Eventuellement, je m’intéresse à l’objet : à la couverture, à sa texture, au papier, à l’image qu’elle porte (presque toujours je m’intéresse à l’image ou, s’il n’y en a pas, à la mise en page de la première page de couverture). Le plus souvent, l’objet ne m’intéresse guère. En général, mes livres sont des livres de poche. Je n’aime guère les éditions luxueuses. Pour moi, un livre doit pouvoir être un compagnon de tout instant. Je lis beaucoup dans les transports collectifs.

Après le titre, je prends connaissance du résumé ou de l’extrait qui bien souvent est porté en quatrième de couverture. Je n’aime pas qu’il n’y soit pas. Ensuite, je lis les premières phrases… Les fameuses premières phrases de l’ouvrage, celles qui, parait-il causent tant de sueur aux écrivains. Parfois, je lis d’autres passages, au hasard.

Il m’arrive, rarement, de ne faire confiance qu’au titre. Comme pour laisser plus de chance au hasard, plus de liberté dans ma découverte.

 

Récemment, j’ai acquis le 1725è ouvrage de la collection Folio. Hervé Guibert, Des aveugles.

La simplicité, le dénuement du titre m’a plu. Je n’arrive pas à trouver le mot juste, mais il y a quelque chose qui me fascine dans ce handicap, beaucoup plus que dans la surdité ou l’absence de la parole. Je ne peux pas dire pourquoi. Sans doute existe-il une imagerie (sic) des aveugles : dans la littérature (Lazarillo de Tormes), dans la rue (la canne blanche), dans les présupposés populaires (l’accordeur de piano)… L’aveugle est identifiable, repérable et connu.

Mais plus que cela, c’est l’étrangeté à s’imaginer un monde de ténèbres. C’est comme si les aveugles vivaient dans un autre monde, plus étrange et inquiétant que le nôtre.

J’ai donc pris le volume. Les deux enfants aveugles et maladroits de la photographie de couverture m’ont intrigué. Et surtout, surtout, la dernière phrase inscrite au verso répondait totalement à ma fascination (il faudrait un mot comme « intrigation » ou « intriguement » pour dire qu’on éprouve l’intrigue) : « Dans ce livre sans pitié, à la fois documentaire et fantasmagorique, les visions de l’obscurité définissent un nouveau système de voluptés et de frayeur ».

L’adjectif « fantasmagorique » suffirait à attiser ma curiosité.

 

Ils étaient parés de robes incolores, de calottes de diable à cornes molles, de masques sans relief et sans trait, de capes informes qui n’étaient que le crissement virevoltant de leurs plis, de loups non échancrés, de diadèmes de lave et de collerettes de glace, d’inutiles azurs brodés, de pyjama de soie rouge trompette et bleu violon, d’autres bleus mous et de verts irritants, de bruns indistincts, de brassards et de couronnes de grelots, ils ne représentaient pas des hommes mais des rayons de lune, des rivières, des arbres de foudre, des éruptions, des ténèbres phosphorescentes les encerclaient en crépitant de doigt en doigt comme des feux magiques, sans danger pour se tourner la tête ils se rincèrent les yeux à l’alcool pur, ils se mirent des valses, ils soufflèrent dans des cornets, ils burent du feu dans des œillères, ils échangèrent chaussons contre tricornes, ils ajoutèrent des cascades de rubans sur leur perruques, leurs mains étaient gantés de feuilles et leurs mollets de feus gainés, ils coururent d’un bout à l’autre des couloirs et sautèrent les obstacles, ils s’étaient déguisés en colonnes et en traîneaux, en Niagara et en Mont-blanc, ils dévorèrent des pièces montées et en croquèrent, mariés et communiants, tout ruisselants d’odeurs qui n’étaient pas les leurs –hommes contre femmes, animaux contre cadavres – ils se poursuivirent dans les jardins, ils se lancèrent des pattes de rats mécaniques, les incendiaires luttèrent avec les prestidigitateurs, ils chutèrent délicieusement.

 

 

C’est la première phrase. Elle est étrange, le sens n’apparaît pas clairement. Il est diffus, on est entraîné sur plusieurs pistes qui s’entremêlent, surpris et charmés par des images nouvelles. J’apprécie l’inventivité du « rouge trompette » et du »bleu violon » (et je trouve la première mieux réussie).

Cette phrase nourrit le sentiment d’étrangeté et l’ »intriguation « . On glisse dans un monde déconcertant. « Glisse » parce qu’il y a de la douceur dans cette phrase. Le livre avance ainsi, comme dans un rêve (ou bientôt un cauchemar). C’est comme si on touchait un rêve du bout des doigts.


La fin m’a déçu. C’est une irruption inattendue du fantastique, mais elle est trop brusque. Comme si l’auteur ne savait pas achever son roman et décidait d’y mettre fin sur un coup de tête. D’ailleurs, le roman est très court, 125 pages à peine.

 

Je ne connaissais rien d’Hervé Guibert qui fut, parait-il un écrivain sulfureux. C’est l’avantage de choisir les livres presque au hasard. On les lit sans a priori et sans être parasité par tout un contexte. Par coïncidence étrange, la semaine où j’ai découvert cet auteur,  il a fait l’objet d’un hommage chez Agnès B. et à l’opéra Comique.

Publié dans Littérature

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C
J'avais commencé à t'écrire un long commentaire; il s'est finalement transformé en billet sur le blog.<br /> Je choisis mes bouquins quasiment de la même façon.
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